Table ouverte au repas des enfants d’Israël
Le débat avec les pharisiens de Jérusalem a redéfini le concept de pureté, trop axé sur une extériorité et des traditions pharisiennes. Jésus a mis en avant la disposition du cœur du croyant juif pour un meilleur souci du prochain dans le respect des commandements de Dieu. Des attitudes contraires rendent impur. C'est aussi pour cette raison que beaucoup de juifs évitaient le contact avec le monde païen, des gens qui ne suivent pas les commandements. Mais le Royaume du Père est-il réservé aux seuls enfants d'Israël ? La rencontre de Jésus avec une femme païenne va éclairer ce point.
Cette femme est qualifiée de Cananéenne. Matthieu insiste ici sur son identité religieuse et idolâtre. Les Cananéens au temps des patriarches sont liés au dieu Baal et à d'autres divinités, entraînant souvent les fils d'Israël à renier leur Dieu unique. En usant du mot ‘cananéenne', Matthieu force le trait pour exprimer la séparation entre Israël et les Nations, entre Juifs et non-juifs. Et peut-être même suggère-t-il aussi à ses lecteurs une distinction existante entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens. Distinction qu'il veut dénoncer.
Mais est-elle concernée par l'avènement du Royaume du Père, cette femme qui ne fait pas partie des fils et filles d'Israël, qui n'appartient pas, par ‘nature', à la communauté juive ? La foi suffit-elle ? Ne devrait-elle pas d'abord demander à être de ces enfants ?
L'allégorie de Jésus insiste sur cette distinction pour mieux la dépasser. Le Royaume est destiné à la table d'Israël. Elle ne peut donc y prendre part. Mais la femme reprend cette allégorie et la réinterprète, à la lumière de la foi au Christ. Elle utilise encore le terme Seigneur pour marquer sa déférence sincère vis-à-vis d'Israël. Elle ne vient pas se substituer à la maison (ou la table) d'Israël. Elle ne vient pas « prendre » ce qui revient en premier lieu à ces ‘petits-enfants'. Elle se met au pied de la table, et ne prend rien. Elle reçoit cette surabondance qu'elle espère du Royaume. La Cananéenne insiste sur ces miettes qui tombent naturellement de la table. Elle sait qu'elle peut avoir part au repas du Seigneur, quand bien même elle devrait être considérée comme un vulgaire ‘petit chien'.
Femme, grande est ta foi ! Il n'est plus question de Cananéenne, ou de petits chiens. Jésus reconnaît sa foi à l'égal et voire plus de tout homme en Israël… elle qui n'est aux yeux des disciples qu'une Cananéenne. La guérison de sa fille dépasse le cadre du miracle pour authentifier l'action débordante de Jésus jusqu'envers les Nations. Elle aussi a droit au repas de vie et non à quelques miettes, elle aussi peut s'asseoir à la même table que les premiers enfants. Car le temps du Messie est advenu comme le prophétisait Zacharie : Ainsi parle le Seigneur de l'univers : En ces jours-là, dix hommes de toute langue et de toute nation saisiront un Juif par son vêtement et lui diront : « Nous voulons aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous. » (Za 8,23)
Ce passage met aussi en avant cette liberté que Jésus suscite. C'est lui qui fait en sorte que cette femme exprime sa foi face à ses disciples exaspérés. C'est lui qui lui permet d'affirmer son attachement au Christ et Sauveur, sans nier, ni mépriser la place d'Israël.