lundi 14 et mardi 15 novembre 2022
Enquête sur Jésus de Nazareth – En quête de Jésus le Christ
La Traversée de la nuit
Monter vers Jérusalem :
Enseignement de Jésus aux disciples
Synthèse
Écoute hospitalière du disciple – Marthe et Marie : 10,38-42
Les disciples ont disparu de la scène, à l'intérieur de la maison : c'est un triangle relationnel très intime.
Marthe, une femme puissante, maîtresse de maison exemplaire ; Marie, sans doute la cadette, se trouve dans une position passive, assise aux pieds de Jésus qu'elle écoute. Une des clés de lecture nécessaires de ce récit : « être assis aux pieds de… » signifie se tenir auprès d'un maître comme un disciple.
Le jaillissement de Marthe : 10,40 « Marthe s’affairait à un service compliqué. Elle survint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissée seule à faire le service ? Dis-lui donc de m’aider. » En une seule phrase, elle met en accusation et Marie et Jésus ! Réponse de Jésus : 10,41 « Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour bien des choses. 42 Une seule est nécessaire. C’est bien Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée. » On entend habituellement des prédicateurs s'embourber sur le caractère allégorique de ce récit : ces deux femmes représentent, l'une la vie active (Marthe), l'autre la vie contemplative (Marie). Et d'ajouter que la vie contemplative est supérieure à l'active !
Pouvons-nous sortir de la lecture allégorique et revenir à la lettre du récit. Deux femmes, dans une même maison : l'une remplit sa tâche domestique ; l'autre se tient en position de disciple…
Que dit Jésus ? Les femmes n'ont pas à être assignées aux tâches domestiques ; elles peuvent légitimement être des disciples. C’est bien Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée : le choix de Marie doit être pris en compte parce que le rôle historique des femmes ne peut se confiner aux tâches domestiques (épinglées par certains, soit dit en passant, comme inférieures, voire dégradantes). Jésus libère les femmes. Dans la langue grecque, le terme de « disciple » n'est ni masculin, ni féminin, il demeure indistinct. Il nous faut lire l'Évangile dans sa totalité : le groupe qui suit Jésus, tout au long de sa mission itinérante, est bien constitué d'hommes et de femmes.
Ce que Marie écoute, en position de disciple, ne nous est pas rapporté : l'enseignement de Jésus est donc à entendre dans le récit lui-même de cette scène domestique privée : « Je songe quelquefois à la plainte de Marthe, et je me dis que cette sainte ne se plaignait pas uniquement à sa sœur. Elle ne s'adresse pas à sa sœur ; c'est à vous seul, Seigneur, qu'elle va porter sa plainte et son amour. Son amour l'enhardit au point de demander pourquoi Vous ne vous souciez pas de ce qui la regarde » (Thérèse d'Avila).
Marie a choisi la meilleure part : elle a accaparé une position qui ne devait pas être la sienne, dans les mœurs de son temps. Or, la liberté de Jésus, c'est de dire : marie a revendiqué une place que, moi, je ne lui enlèverai pas !
Reste, cependant, le reproche de Jésus à Marthe. Notre service ne peut contaminer notre entourage à cause du stress qu'il produit parfois en nous.
La pointe du récit demeure cependant : Jésus défend les femmes et met en cause le statut qu'on leur assignait dans la culture contemporaine. Les femmes peuvent se tenir à hauteur égale des hommes, en l'occurrence, à hauteur de disciple.
Pointe du récit : tout service (celui de Marthe, comme celui de Marie) peut se vivre dans la position du disciple, c'est-à-dire, dans la priorité donnée à l'écoute de l'autre, à l'écoute de la Parole.
Si la richesse en argent peut connaître des revers de fortune, la richesse spirituelle demeure inaltérable car personne ne pourra nous enlever ce qui a été partagé.
12,31 Cherchez plutôt son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît.
32 Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume.
Les disciples sont assimilés à un « petit troupeau : cet Évangile de Luc s'adresse à une Église encore très minoritaire (cela n'est pas sans ressemblance avec notre situation de fragilité présente !). Quelques hommes et femmes qui ont été bouleversés par l'Évangile mais qui vivent dans un monde religieux et politique hostile : ils se reconnaissent bien dans cette image du petit troupeau. Mais les paroles de Jésus nous rappellent que nous sommes habités d'une espérance invincible.
12,35 Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées.
36 Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu'il arrivera et frappera à la porte.
Jésus demande à ses disciples de se situer comme des combattants de l'Évangile : des hommes et des femmes envoyés au front ! La foi n'est pas seulement une attitude spirituelle qui nous permettrait de profiter des dons reçus. Croire demande un équipement, une armure dira saint Paul dans la Lettre aux Éphésiens :
« 6,11 Revêtez l'armure de Dieu pour être en état de tenir face aux manœuvres du diable.
14 Debout donc ! A la taille, la vérité pour ceinturon, avec la justice pour cuirasse 15 et, comme chaussures aux pieds, l'élan pour annoncer l'Évangile de la paix. 16 Prenez surtout le bouclier de la foi, il vous permettra d'éteindre tous les projectiles enflammés du Malin. 17 Recevez enfin le casque du salut et le glaive de l'Esprit, c'est–à–dire la parole de Dieu. 18 Que l'Esprit suscite votre prière sous toutes ses formes, vos requêtes, en toutes circonstances ; employez vos veilles à une infatigable intercession pour tous les saints ».
Croire c'est entrer dans un combat pour porter l'espérance de l'Évangile dans un monde hostile ou indifférent, dans un monde en quête d'horizon.
12,39 Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur viendrait, il n'aurait pas laissé percer le mur de sa maison.
40 Vous aussi, tenez-vous prêts : c'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra. »
Jésus nous demande d'entretenir le feu, l'ardeur, la vérité de notre foi : appel à maintenir vivante la flamme de la foi, de l'espérance et de la charité.
12,37 Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c'est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir.
Le serviteur éveillé se découvrira comme un serviteur servi ! Qu'est-ce que cela signifie ? Même image que celle de l'Évangile de Jean : à la fin du repas, Jésus, pour signifier son Évangile, se lève de table, dépose son vêtement, se ceint d'un linge et lave les pieds de ses disciples : qui veille dans la foi connaît dans sa vie et son être spirituel que le Maître et Seigneur pour lequel il veille est celui qui vient le servir lui-même.
Véritable mutation de l'autorité car au cœur de la foi se tient comme l'échec d'une autorité de pouvoir pour une autorité plus grande. L'autorité de l'Évangile peut-elle alors faire du neuf dans le monde ? Car ce qui caractérise l'autorité de Jésus c'est qu'elle est kénotique, elle est livrée pour nous et pour notre salut. Celui qui est hors-jeu devient figure d'autorité. Cette autorité kénotique fragile, désarmante, de Jésus-Christ rejaillit sur la construction de nous-mêmes. Car reconnaître le maître intérieur comme serviteur, c'est grandir. Il s'agit bien alors d'un autre développement
Ascencion
personnel non narcissique, notamment parce « qu'il a traversé le même chemin que les pauvres » et donc il permet par cela que la vie reste une promesse.
12,48 Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, celui-là n'en recevra qu'un petit nombre. À qui l'on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l'on a beaucoup confié, on réclamera davantage.
Ce passage nous invite à sortir de la comparaison : non pas « est-ce que je fais mieux ou moins biens que mon frère, ma sœur, mon voisin ; mais, comment faisons-nous fructifier les dons que nous avons reçus, au service de l'Évangile.
Apologue d'un père du désert à son disciple qui lui demandait : Que dois-je faire ? Réponse :
Abraham pratiquait l'hospitalité et Dieu était avec lui. Élie priait seul et Dieu était avec lui. David était humble et Dieu était avec lui. Donc, toi, regarde la vérité la plus profonde qui parle en toi. Et deviens cela authentiquement et entièrement au service de l'Évangile. Alors, Dieu sera avec toi.
Nous sommes renvoyés à notre véritable singularité : c'est cela qui est à faire fructifier.
12,49 Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé !
50 Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu'à ce qu'il soit accompli !
Le feu, lié au baptême, nous indique que nous sommes dans une thématique de la Passion/Résurrection/Pentecôte. Ce texte dit quelque chose aux premières communautés qui affrontent la tourmente des persécutions : elles sont, comme nous le sommes, en plein tempête. Dans les familles, elles-mêmes, issues du Judaïsme, il y a ceux et celles qui confessent Jésus comme Christ : tous attendent un Messie et certains disent nous l'avons, il est là, c'était un Messie crucifié, il est vivant, nous recevons l'Esprit… Nous ne sommes pas dans la vision idéale et paisible de la Pentecôte : tout le monde les écoute et les comprend, et trois mille se font baptiser…
Dans notre passage de l'Évangile, c'est une autre forme de Pentecôte qui nous est relatée où l'on voit bien que la dispute a déjà commencé.
Au sein même de la famille, la division va sévir. Or, nous savons que le diviseur c'est le diabolos, le diable ! C'est alors qu'il faut avoir du discernement : il y a la division, le discernement que Jésus nous annonce et la division qui vient du diable, semeur de discorde et de zizanie (ivraie). Il y a donc une division diabolique et une division évangélique, que l'on pourrait appeler : un travail de discernement, de jugement. Vrais ou faux prophètes ? Tous ceux qui portant la parole de l'Évangile vont récolter la tempête ! Comment séparer le bon grain et l'ivraie ?
Notons donc qu'il n'y a pas d'idéalisation de la famille, alors que la tradition culturelle chrétienne a idéalisé la famille. Rien, dans l'Évangile n'alimente cette vision paisible de la famille ! Jésus lui-même va tenir sa famille à distance quand ils viennent pour le reconduire chez eux : « Qui sont mes frères, qui est ma mère ? Ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la gardent ».
Pour Jésus, la famille de sang n'est pas prioritaire : une femme crie, sur le passage de Jésus « Heureux le sein que tu as sucé et les entrailles qui t'ont porté » et Jésus réplique : « Bienheureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique ».
Il y a, dans l'Évangile une forme de radicalité : celui ou celle dont je vais être proche n'est pas nécessairement mon frère ou ma sœur, selon le sang, ma mère ou l'enfant… Parce qu'une nouvelle filiation se met en place. Quel est ce feu, ce souffle qui vient : c'est celui de l'esprit qui va élargir cette fraternité. Donc nous ne pouvons plus demeurer dans la logique tribale qui définit qui sont mes plus proches.
Qui est mon prochain ? Jésus déconstruit la famille de sang, sans la nier : il indique où s'enracinent les véritables liens évangéliques : dans une filiation et une fraternité qui doit, désormais, traverser tous nos liens.