Prie dans ta nuit, au corps à corps avec l’Ange
Prier, au cœur de sa nuit, c'est se confronter corps et âme avec l'Inconnu !
Il nous faut, à la fois, beaucoup d'audace et d'abandon : les crispations ne conduisent à rien. Avec le Combat de Jacob, nous assistons à l'entrelacement de deux corps : proximité étonnamment proche et infinie distance. Jacob ne peut s'échapper – le veut-il vraiment ?
Quand nous sommes ainsi saisis, nous émergeons à une certitude : celle d'une tendresse qui ne peut encore s'avouer et qui nous évoque le dialogue de Jésus avec Pierre. « Simon, m'aimes-tu ? », demande Jésus. Réponse de Pierre : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime ».
Alors le Ressuscité délivre cet étrange message : « Quand tu étais jeune, tu allais où tu voulais ; quand tu seras devenu vieux, un autre te mènera… » (Jean 21).
Dans la nuit, l'Imprévisible surgit sur notre chemin : c'est que nous nous cognons avec notre vérité, ou la vérité de Dieu, ce qui est un peu la même chose. Tout ce qu'il y a de blessures, dans nos vies ou nos mémoires, nous fait entrer dans une plus grande vérité sur nous-mêmes, les autres, Dieu. Chemin imprévu, dé-route pour être conduits ailleurs, plus loin…
Jacob a passé le gué du Yabbok, il a tout laissé derrière lui, il est seul, c'est la nuit. Quand un Ange, un fils d'homme, surgit et l'empoigne : Jacob est pris ; il se défend. Peu à peu, au cœur du combat, cette défense me conduit vers un autre consentement.
Dans l'épreuve de la nuit, je vis la quête éperdue et douloureuse de la Réalité : se révèle ce qui est « moi », de moi, de Dieu, et qui ne se laisse pas saisir, dans les claires évidences du jour.
Nous sommes seuls, perdus : nous résistons, face à un absolu Mystère et, en même temps, face à une Présence réelle. Rappelons-nous Nicodème qui vient trouver Jésus de nuit : « Il vous faut naître d'en-haut. Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque naît de l'Esprit » (Jean 3).
Nous ne savons pas d'où vient le Souffle Saint, mais nous éprouvons son passage : nous ne possédons pas la Vérité, mais nous pouvons nous livrer à elle !
« Jacob resta seul. Or, quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. L'homme, voyant qu'il ne pouvait rien contre lui, le frappa au creux de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant ce combat. Jacob demanda : « Fais-moi connaître ton nom, je t'en prie. » Mais il répondit : « Pourquoi me demandes-tu mon nom ? » Et là il le bénit. Au lever du soleil, Jacob passa le torrent à Penouël. Il resta boiteux de la hanche » (Genèse 32).
La bénédiction ne se vole pas : nous la demandons, à la manière de Jacob, comme des mendiants, assoiffés d'être reconnus, appelés par notre nom. La vérité de ce que nous sommes n'est pas close sur elle-même : elle est entrée par la blessure, la brèche, dans la profondeur insondable de notre existence.
Si nous consentons à reconnaître nos errances, dans le combat de la nuit, nous pouvons passer le gué, plus vivants, rendus capables de fraternité véritable : « L'Esprit pratique, en la chair, la brèche indispensable à une totale irruption de la vie » (Teilhard de Chardin).
L'épreuve ne nous laisse jamais comme elle nous a trouvés : même boiteux, blessés, en apparence amoindris, nous voici plus vivants en vérité. Dieu, en Jésus, a pris pour nous visage et corps humains : il a laissé retentir dans sa chair toutes les richesses, passions, douleurs, hautes joies de notre humanité…
Illustrations : Cathédrale d'Autun