Enquête sur Jésus de Nazareth - En quête de Jésus le Christ
La Traversée de la nuit
Lundi 10 octobre / Mardi 11 octobre
Afin de poursuivre notre approche de la théologie spirituelle de la Croix, une intervention du théologien Jacques-Noël Pérès : « Dieu est mort sur la croix pour nous ouvrir à sa grâce ».
9, 51 Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem.
Prendre résolument la route de Jérusalem : Luc 9,51-62
Tout est organisé autour de cette marche vers Jérusalem, cette Montée au cours de laquelle Jésus prépare ses disciples à ce qui va venir. La Montée vers Jérusalem, c'est la montée des périls : nous percevons qu'une tension se met en œuvre, une inquiétude nous saisit ; Jérusalem est le lieu de l'accomplissement de la mission de Jésus.
Cette première section, Luc 9,51-62, appelée « Conditions pour suivre Jésus » dans nos bibles, se présente comme une sorte de mode d'emploi pour « disciples-commando » : il va falloir passer par une « porte étroite », nous montons vers une épreuve – « Les jours de son enlèvement » –, et c'est pourquoi Jésus « durcit son visage » …
Violence et non-violence
Face au refus d'accueil de villages samaritains, les disciples se situent dans la violence. Jésus rejette de façon très nette ce mouvement : la radicalité de la condition de disciple ne passe pas par la violence envers autrui, en fait par aucune forme de contrainte qui mettrait sous emprise la liberté des personnes. Ceux qui refusent d'accueillir, on les laisse aller. Et de fait, au moment de son arrestation dans le Jardin des Oliviers, Jésus va empêcher ses disciples de recourir aux armes.
Radicalité du nomadisme
Être en marche, c'est cela qui dessine la condition du disciple. Plus de terriers, plus de nid, plus de pierre où reposer sa tête. La condition du disciple requiert une forme de dénuement qui souligne l'itinérance permanente de Jésus et de ceux qui marchent avec lui, selon lui. L'Evangile et son annonce nous désinstalle. Mesurons le paradoxe : on parle du « Siège de Pierre » pour désigner le pouvoir spirituel de l'Evêque de Rome, alors que Jésus dit de lui-même : « Je suis le chemin… ». « Le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer la tête ».
Au fond, le disciple comme le maître n'est jamais arrivé : il vit dans une forme d'intranquillité qui est le propre de cette itinérance.
Jésus, un maître de sagesse ?
Peut-être, mais pas à la manière des philosophes grecs qui établissent des « écoles ». Jésus ne nous installe pas dans une sagesse non-violente qui donnerait la paix, car l'Evangile nous laisse dans une sorte de suspension. Notre condition c'est d'être toujours « en-avant ».
Violence de l'Evangile
Face au refus de la violence des forts, Jésus va ouvrir la violence de l'Evangile, violence de l'Esprit. Il y a une telle situation d'urgence, une urgence de la Vie telle que Jésus, par une sorte de métaphore hyperbolique, va tenir des propos d'une rare violence : « 60 Mais Jésus lui dit : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu. » 61 Un autre encore lui dit : « Je vais te suivre, Seigneur ; mais d’abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison. » 62 Jésus lui dit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu. ». Il signifie ainsi l'état d'urgence dans lequel nous nous trouvons comme disciples : « Le temps se fait court », dira Paul. Ceci est dépassement de la sagesse humaine, folie de la sagesse évangélique.
Comme disciples, nous voici appelés à choisir la Vie. Pensons à la femme de Lot qui, regardant en arrière, devient statue de sel ! L'avenir se révèle plus important que le passé : c'est une singularité de la foi chrétienne que de nous tenir en mouvement vers ce qui va advenir, et non tournés vers ce qui est derrière nous. Ne pas se retourner (à l'encontre de la femme de Lot), c'est nous engager vers la Vie qui vient au-devant de nous. L'Evangile nous jette vers le temps qui vient.
Cela ne supprime pas le processus de mémoire : « L'Esprit vous fera souvenir de tout… ». Mais ce souvenir est un mémorial : nous sommes happés par l'Esprit pour nous mettre en route vers ce qui vient, vers Celui qui vient. Rappelons-nous le mouvement des disciples d'Emmaüs : aux paroles et aux gestes de Jésus, leur mémoire se réveille et ils se mettent immédiatement en route pour annoncer la Vie du ressuscité. Une mémoire dans l'Esprit qui nous permet de repartir en avant.
Nous ne sommes pas renvoyés à nous-mêmes, dans une forme de relecture passéiste : c'est une mémoire vive qui nous permet de partir, toujours de nouveau. « Celui qui marche ne s'arrête jamais de marcher. Il va de commencement en commencement par des commencements qui n'ont jamais de fin » (Grégoire de Nysse, La vie de Moïse).
Témoignage et Hospitalité : Luc 10,1-20
Après le premier envoi en mission des Douze apôtres (qui symbolisent les douze tribus d'Israël), voici celui des soixante-douze disciples : cela rappelle les soixante-dix Anciens autour de Moïse, dans l'Exode ; c'est la constitution d'un peuple, une nouveauté commence. Pas un nouveau peuple parce que le premier se montre défaillant ; mais une extension aux Nations. La prédication aux Nations, déjà entreprise par Paul, est enracinée dans l'Evangile lui-même. On est dans une expansion de l'annonce de l'Evangile : 10,2 Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson ».
« Comme des agneaux au milieu des loups »
La comparaison a une forte connotation non-violente et c'est aussi une représentation christique « Voici l'agneau de Dieu » (Jean le Précurseur désigne Jésus). Les premiers disciples seront en butte aux persécutions.
Mais cela représente surtout un programme pour tous les missionnaires : nous avons une Annonce à proposer mais rien à imposer. La façon dont l'Evangile est reçu ne nous appartient pas ; ce n'est pas à nous d'en juger.
Paradoxalement, Luc souligne la fécondité du fait d'être agneau, car la mission semble réussie : « 10,17 Les soixante-douze disciples revinrent dans la joie, disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » 18 Jésus leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair ». Pensons à l'Apocalypse : le combat cosmique de l'Agneau et du Dragon ; l'Agneau sera vainqueur du Dragon, au bout du compte, mais avec les persécutions… Espérance contre toute espérance !
Cette présentation lucanienne de la Mission du disciple est une forme de promotion de la fragilité, très paulinienne : « Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort ». La foi chrétienne, à cause du Messie crucifié, va se forger ainsi : ce qui est sa force, la force du disciple, c'est de persévérer, d'être présent dans cette faiblesse. Pensons aussi au récit des Tentations de Jésus : le diable demande à Jésus de se manifester par le miracle (pierres changées en pain), par la séduction du merveilleux (se jeter du haut du Temple), par le pouvoir (prendre possession des nations)… Ce n'est pas sous cette forme que Jésus veut faire advenir le Règne de Dieu mais par le don de l'Agneau. De cette manière, le Satan (l'Adversaire) sera vaincu : non par une force qui se mesure à lui avec les armes de la violence, mais par la force de l'Esprit qui développe la vie du témoignage, le don de l'Agneau.
Sous ce texte, affleurent aussi les promesses d'Isaïe : « Le loup et l'agneau auront même pâturage, on ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte » (Isaïe 65,25 et 11,7-9). Pensons aussi à la première prédication de Jésus à Nazareth en Luc 4. La Promesse, ici, c'est le Royaume qui est annoncé, promis à tous et donc ouvert aux Nations.
Nous n'entendons rien de plus du contenu de l'Annonce, hormis « Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous », le temps de grâce est au présent. Nous pouvons comprendre que la forme de l'Annonce importe autant que son contenu.
10,4 « N’emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales »
Le « presque rien » emporté pour la mission est certes une exigence de la pauvreté évangélique mais surtout, comme disciples missionnaires, elle nous met dans la nécessité de recevoir l'hospitalité de ceux que nous évangélisons. De devenir, en quelque sorte, les débiteurs de ceux à qui nous apportons le don de l'Evangile, le Christ. Il convient que les envoyés possèdent peu et soient vulnérables pour être en mesure de recevoir des autres et pas seulement de donner. Ce qui nous mettrait dans une position de supériorité.
10,9 : « Guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur : “Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous ». Le terme grec « Theurapeo » signifie : « prendre soin de », « honorer », pas seulement guérir. Guérir ne nous appartient pas ; en revanche, il nous appartient de prendre soin les blessés de notre société. Les missionnaires, dans l'histoire de l'Eglise, ne construisent pas que des chapelles… la proclamation de l'Evangile ne peut se dispenser de l'attention active aux fracturés de la vie.
Les villes du bord du Lac (10,10-20)
Luc préparer le lecteur : la grâce destinée à Israël, même si elle n'est pas reçue par tout Israël, va s'ouvrir à la multitude des Nations. Et il n'est pas évident, pour les auditeurs de Jésus, de faire passer, d'ouvrir la Promesse faite à Israël aux Nations païennes. C'est une révolution mentale et spirituelle à opérer. Pensons à la première prédication de Jésus à la synagogue de Nazareth (Luc 4), quand il évoque la veuve de Sarepta et le syrien Naaman, des païens bénéficiaires des œuvres de puissance des prophètes Elie et Elisée. Ce rappel vaut à Jésus l'hostilité violente de ses compatriotes ! La Promesse se répand hors des frontières d'Israël.
10,10 « Mais dans quelque ville que vous entriez et où l’on ne vous accueillera pas, sortez sur les places et dites : 11 Même la poussière de votre ville qui s’est collée à nos pieds, nous l’essuyons pour vous la rendre. Pourtant, sachez-le : le Règne de Dieu est arrivé. » L'échec appartient à la mission et la fécondité ne se mesure pas à la réussite mais notre rôle est d'annoncer le Règne de Dieu présent au milieu des humains et de prendre soin des plus vulnérables. « Secouer la poussière de nos pieds », c'est laisser derrière nous le refus, l'hostilité, la violence : la réception du Message relève de la liberté des personnes et de l'œuvre de l'Esprit.
10,19 « Voici, je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi, et rien ne pourra vous nuire. 20 Pourtant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux. »
Le plus important, pour les disciples missionnaires, ce n'est pas le pouvoir, ni la réussite ; c'est le regard de Dieu sur notre engagement : « Le vainqueur, j'inscrirai sur lui le nom de mon Dieu et mon nom nouveau » (Apocalypse 3,12).
Révélation de l'identité de Jésus : 10,21-24
10,21 « A l’instant même, il exulta sous l’action de l’Esprit Saint ».
Comme on dit : Jésus a de qui tenir ! L'esprit de sa mère aussi a exulté dans l'Esprit Saint, à la parole d'Elisabeth (Luc 1,47) ! Penser que Jésus tient sa joie de sa mère : que cette joie est une mise au monde, et ici, qu'il la tient des disciples, ces humbles, les petits à qui le Père se révèle avec prédilection.
C'est pourquoi Luc interprète le contenu de cette joie : « 10,22 Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connaît qui est le Fils, si ce n’est le Père, ni qui est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler. » Ce qui peut vouloir dire que le Fils connaît le Père en entrant toujours plus avant dans sa filiation, en n'étant que Fils. Dans cette filialité, qui est le tout de son identité, il entre, à travers elle, dans l'être même du Père. Cette relation est intelligence parfaite de soi dans l'Autre, de l'Autre en soi. Non la sagesse mondaine des sages et des intelligents, mais l'intelligence de cœur des tout-petits. Le Fils, comme un enfant, tutoie le Père parce qu'il a de ce Père une intuition à la racine de son être. Nous pouvons penser à un verset d'Isaïe 11,1-2 : « Un rameau sortira de la racine de Jessé. Sur lui reposera l'Esprit du Seigneur ».
Le Père est la Racine ; le Fils est le Rameau et l'Esprit qui repose dessus est le Ramier. Cette révélation est objet de béatitude : 10,23 « Puis il se tourna vers les disciples et leur dit en particulier : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! ». Ce qui se tenait caché dans la parole des prophètes, caché mais déjà actif en espérance, c'est ce que Jésus voit et entend, accompli, en cette heure d'exultation.
GILLES REBECHE, Conférence lundi 2 décembre à 17h00
"Servir la fraternité : utopie ou impérieuse nécessité ?"
Actualités Générales, Conférence