Quelques pistes de réflexion pour nous aujourd’hui… (proposées par Thérèse Dumond)
L'appel (voir la vidéo) des quatre premiers disciples dans l'Évangile de Luc
Luc 5, 1-11
La rencontre entre Jésus et Simon semble banale : Jésus lui demande un service pour être mieux entendu…
Jésus intervient alors quand ils ont renoncé : même quand il est trop tard pour les réussites humaines, il n’est jamais trop tard pour Dieu.
Simon est envoyé malgré ses résistances : mais « sur ta parole », v 5, Simon fait confiance, la Parole de Jésus est plus forte que ses doutes, que son découragement. Cette confiance dépasse les limites du bon sens humain…
Enfin Jésus confie même une mission à Simon, afin de collaborer avec lui.
Souvent nous sommes, comme Simon, freinés par la peur : peur de ce que le Christ peut faire pour nous, en nous, par nous ; peur de gagner le large, de rencontrer un Dieu qui nous dépasse, peur de jeter le filet dans notre vie sur la seule Parole de Jésus…
Notre peur est bien un frein à la mission.
« Ils le suivirent » : l’appel de Jésus se situe bien dans un dialogue, avec une réponse de Pierre. L’appel est toujours lié à une mission et demande une réponse : chaque réponse est alors unique… Pas d’appel sans réponse !
Luc 5, 27-32
Jésus appelle Lévi là où il se trouve, quel que soit sa condition : Lévi est « saisi » par cet appel de Jésus. Lévi répond en offrant ce banquet, où il désire partager avec d’autres la joie reçue de cette rencontre personnelle avec le Christ.
Chacun de nous a besoin de cette rencontre personnelle pour être saisi par la Parole de Dieu et avancer sur un chemin de conversion.
Luc 6, 12-19
Comme à chaque moment important, Jésus part seul à l’écart pour prier, « la nuit entière » : ce choix d’appel se fait sous le regard du Père.
L’appel des 12 « apôtres » parmi les disciples, confirme leur rôle d’envoyés pour continuer l’œuvre du Christ.
Romains 8, 29-30 : « Ceux que d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance, à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier né d’une multitude de frères. Ceux qu’il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu’il a rendus justes, il leur a donné sa gloire ».
Simon devient alors Simon Pierre : il garde son ancien nom tout en naissant à une identité nouvelle.
Notons que la mission est un tout, les seules interruptions sont des temps de prière du Christ ou des repas.
Une réflexion sur la vocation
Entendre la « voix » » qui appelle…
Quand on dit « vocation », on peut l'entendre selon deux acceptions :
– Des figures sociales : sacerdoce, mariage, vie religieuse…
– Plus fondamentalement, derrière le mot « vocation » il y a un verbe – appeler –, donc une action dont Dieu est le sujet. Cette action d'appeler concerne chaque être humain, chacun d'entre nous, dans sa singularité absolue.
« Quelle est ma vocation » n'est pas la bonne question à se poser.
Mais, une bonne question : comment puis-je accéder à ma vocation progressivement, sans savoir ce que cela sera ? À la fin de ma vie, je saurai ou d'autres pourront recueillir ce que j'ai vécu et dire : « Voilà, il, elle a vécu cette vocation ».
En quoi consiste cette expérience d'être appelé ?
Lisons d'abord l'Écriture
• « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » (1 Samuel 3,1-21). On pourrait commencer à réfléchir à partir de cet épisode très connu : dans le temple de Silo, il y a le vieux prêtre Eli et le jeune Samuel. Samuel entend, dans son sommeil, une voix, celle de Dieu qui l'appelle et pense que c'est le prêtre Eli. Nous sommes face à une « heureuse ambiguïté » : un va et vient entre la voix mentale qui intervient et appelle ce garçon et le prêtre Eli. Jusqu'à la découverte par Eli qu'il s'agit de la voix de Dieu et sa réponse à Samuel, tu diras : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ». Voilà l'« heureuse ambiguïté » dans l'expérience de la vocation. Il y a toujours la conjugaison de deux voix qui interviennent : la voix de quelqu'un qui nous met sur le chemin, ici dans le cas de Samuel, cela correspond à la voix parentale qui nous fait accéder à la parole, au langage, à notre identité. Et, à un moment donné, une distinction doit s'opérer, de manière plus ou moins difficile. Quand il faut entendre, au plus profond de soi-même, cette « voix » unique que la Bible appelle la « voix de Dieu », cette « Voix » qui nous appelle à exister.
• Dans le Premier Testament, nous retrouvons cela dans l'histoire d'Abraham, de Moïse, du prophète Elie et de bien d'autres prophètes.
• Dans le Nouveau Testament, nous pouvons partir de Paul : « Je faisais des progrès dans le judaïsme, par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. Mais, lorsque Celui qui m'a mis à part dès le sein de ma mère et m'a appelé par sa grâce, a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l'annonce parmi les païens, aussitôt, je suis parti… » (Galates 1,14-17).
• De Paul, en passant par l'appel des disciples dans les évangiles, nous pouvons remonter jusqu'à Jésus de Nazareth : à partir de l'épisode dans le temple de Jérusalem, à douze ans, où nous assistons à un décrochage étonnant : « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être aux affaires de mon Père ? » (Luc 2,41-52) ; jusqu'au chapitre 4 de l'évangile de Luc, où Jésus parle en son propre nom, en se référant à l'Écriture, dans la synagogue de Nazareth : « Aujourd'hui, cette Écriture est accomplie pour vous qui l'entendez » (Luc 4,16-30).
Si nous nous référons au Concile Vatican II, dans Gaudium et Spes.
• Nous sommes invités à distinguer « vocation humaine » et « vocation chrétienne » : comprendre le métier d'homme et de femme que nous exerçons comme une vocation. Et donc, comprendre la vocation chrétienne comme une vocation diaconale au service de la vocation humaine.
• Cela nous renvoie aussi à la dignité fondamentale de la conscience humaine :
le courant qui se réfère surtout à la tradition biblique (cf. St Paul) présente la conception d'une conscience spirituelle, une conscience qui nous autorise à exister. Cela est fondamental.
• Quand on articule conscience et vocation, on ne se réfère pas d'abord à la loi, mais il nous faut remonter au premier récit de la création (Genèse 1), où l'on entend la voix de Dieu dire : « C'est bon… C'est très bon », le sixième jour. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas des aventures qui arrivent dans l'humanité et qui obscurcissent cette « voix », cette loi fondamentale qui résonne en tout être humain. La Loi intervient quand cette « voix » ne s'entend plus ou mal. Mais l'enjeu fondamental c'est, d'abord, de donner accès à cette « voix ».
• Un passage de C. Théobald, dans son livre « La Révélation », nous éclaire : Dieu ne révèle rien de ce que nous pouvons ou pourrons un jour savoir par nous-mêmes. Il se révèle lui-même comme mystère absolument discret – « voix » –, pourrait-on dire, au sein même de l'éclosion de notre propre liberté de conscience. Quand Dieu a tout dit et révélé (cf. Jean de la Croix, Montée du Carmel 2,22), une fin est arrivée qui ne peut être suivie que par son silence et la croissance de la liberté humaine, jusqu'à devenir capable de tenir debout face à ce mystère.
• Cela est la vocation au sens le plus fondamental du terme : être convoqué à son pouvoir-être le plus propre. C'est justement ce que personne d'entre nous ne peut faire à la place de quelqu'un d'autre. Chacun ne peut le faire que pour lui-même. Il faut être autorisé à exister ; cette « voix » fondamentale qui résonne en chacun de nous, selon la tradition biblique, chrétienne c'est la conscience spirituelle.
• Ce qui caractérise la particularité du christianisme, son « style », et la figure messianique de Jésus de Nazareth, c'est que Jésus est un « passeur » d'une crédibilité absolue. Nous le voyons dans sa manière de se rapporter à l'unicité de l'existence humaine : Jésus ne s'adresse pas à des catégories d'individus mais à des personnes singulières, situées et rencontrées dans leur histoire singulière.
• Il y a aussi des appels « particuliers ». Nous pouvons nous appuyer sur la théorie paulinienne des « charismes » (1 Corinthiens 12-14). Le mot « charismes », en grec : « charismatôn » se traduit littéralement : « dons gratuits », ou gracieux = dons de la grâce (1 Cor 12,4).
• Cela dit que l'existence humaine, le charisme, le don particulier que chacun de nous a reçu est l'expression charnelle, concrète, de la grâce même de Dieu. La grâce n'est pas quelque chose d'abstrait. La grâce justifiante, qui nous dessaisit de notre propre existence et nous renvoie à un Autre, au Dieu Père, cette grâce-là prend en chacun de nous une figure particulière et manifeste les points les plus forts de notre existence, mes talents, etc…
• Paul emploie une expression particulière quand il parle des « charismes » ; il dit, « Dieu a disposé le Corps » (de l'Église) (1 Cor 12,24) ; qu'est-ce que cette « disposition divine » ?
– Un renversement de la hiérarchie des vocations et des talents : les charismes les plus fragiles et les moins nobles doivent être honorés le plus. « Dieu a disposé le Corps en donnant plus d'honneur à ce qui en manque, afin qu'il n'y ait pas de division dans le Corps mais que les membres aient en commun souci les uns des autres » (1 Cor 12, 24). C'est la disposition que nous trouvons en Jésus Christ : la kénose, l'abaissement.
– L'apostolicité. Chez Paul, nous trouvons une liste : apôtres, évangélistes, enseignants, chefs de communauté, charisme de guérison… La figure de l'apôtre est celle de celui qui évangélise, qui annonce la Bonne Nouvelle du Christ. Personne ne peut annoncer l'Évangile en son propre nom. La figure apostolique, celle des Douze, est la figure de la « passation » : l'Évangile passe à travers l'histoire, mais toujours sous forme de passation, de sorte que personne ne peut se l'approprier.
• Revenons à Jésus de Nazareth. Jésus nous est présenté comme un itinérant, un « charismatique itinérant » : c'est son style de vie ! Mais les itinérants ne peuvent exister que s'il y a des figures d'hospitalité ! Comme les femmes de l'Évangile et des Actes des Apôtres ou le Disciple que Jésus aimait, face à Pierre, le Pasteur (relire Jean 21). Autre style de vie !
– Jésus articule ces deux figures : itinérance et hospitalité. Cette polarité traverse toute la Tradition chrétienne et se réarticule selon les contextes dans l'espace et le temps. Ce n'est pas tel ou tel « style » qui est de « disposition divine » mais l'articulation entre les deux.